éditions du temps qui passe cybercarnet [blog] de Pascale Evrard
  • la phrase la plus longue… [T E M P S 1]

    la phrase la plus longue… [T E M P S  1]

    Si ce n’était l’insomnie, qui, une nuit de janvier, me fit lever pour écrire une lettre « idéale » à me porter volontaire pour mener ce travail ; je pourrais croire que j’ai inventé ce projet de toute pièce !
    Éloge du signe à signe, et de la lenteur ; aux larges approches, avant, pendant, autour et après… Bref : un véritable « pèlerinage » dans une ville du livre et du mot…

    … Mon épopée.

    Par où commencer ?
    Il y a tant d’histoires dans l’histoire.
    Des moments parallèles, des déviations, des digressions, des digestions, de la pluie, du beau temps et du vent, des éclairs, des insomnies, des bubble-gum à dégommer, des courbatures, des siestes, des commerçants, des passants, des patients de l’hôpital psychiatrique, de l’orage, des enfants, des mendiants, des laissés-pour-compte, des pèlerins, des rencontres, des chiens ; les clochers du Prieuré, la cloche de l’Hôtel de ville, la fraîcheur des passages, de l’église, des jardins, la porte de la Magdelaine, l’eau de la fontaine, l’eau du ciel, les nuages, la Loire.
    Une voiture transformée en atelier au fil du boulot. Les outils, l’ensemble du petit matériel sans cesse à rassembler. L’aérosol, le brumisateur… à ne pas confondre.
    Les lettres, à ranger, déranger, les « couples récurrents » à mettre de côté.
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    Et le travail en amont à l’atelier… où j’étais loin d’imaginer… où cette lettre de janvier m’emmènerait.
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    Alors, par où commencer ?
    Et pourtant, s’il suffisait de faire état des étapes ?
    Suivre la ligne par les méandres du trottoir — le joint des dalles, dédale, et les plaques d’égout, de gaz, les bouches d’aération, les allées et venues par les portes, le trottoir.
    Écrire ? ou laisser parler les images, les actions,*** à travers un reportage « marabout d’ficelle » au rythme cousu, décousu, de la phrase ? Détailler le fil de mes photographies, notes et apartés ; de mon courage, mes faiblesses.
    Où, les mots dans les mots, même ceux de « Marcel » sauf votre respect, qui, de lettre à lettre, dans la concentration extrême d’une activité manuelle, devenaient autre chose, se diluaient de leur logique, de leur course vers le point, se vidaient de leur sens, pour laisser libre cours au parfum d’un seul mot. L’essence même des césures en associations ; mille récits dans la tête. Un petit vélo peut-être ? Une vélocité sans doute… Toujours prête à partir en sucette, dans l’alignement même des pochoirs, à trop se répéter les mots en cours, les mots en ouvrage, et partir ailleurs parfois — entre deux mots à voix haute, voir davantage, des passants qui passent, et repassent ; inspecteurs incrédules d’un chemin de labeur.

    S’il suffisait… de faire état des épreuves, aussi… « pour que le bonheur existe ».
    Y questionner le châtiment pour y comprendre l’épiphanie.
    Oublier l’appât du gain, le résultat comptable, la misère-poésie.
    Être — Le Temps qui Passe pour Le Temps Perdu — éprise à mes propres mots. Dur, et doux piège surtout, de l’esprit vagabond.

    Un voyage de l’ailleurs, par la sueur, la chaleur : le dépaysement à vivre au jour, le jour. Ici, pour l’avancée d’une phrase, les hasards du chemin de la Grande Rue. L’approche intime d’une ville dans un concentré de vie, d’existences charitoises.
    (Quelques invectives, minoritaires. La rugosité d’un buraliste).
    Les attentions : le bob de Michel, passant aux bons mots / la canette de coca de Stéphane, doux pirate de l’asphalte et veilleur discret du parcours / le diabolo-menthe d’Isabelle, la gérante à « la narine rétive » du Bar le Tivoli — Où quand le hasard de la longue phrase fait si bien les choses ! Quand je m’étonne, jubile, me réjouis de la correspondance des mots qui se jouent du chemin — Les brèves de comptoir, puis sa sympathie, solidaire, féminine, en reconnaissance de mon dur labeur, ma persévérance. Et puis des verres d’eau fraîche à volonté !

    Un matin, un passant singulier s’amuse de ma folie (douce ?).
    À la tombée du jour, un jeune poète syrien : Omar Youssef Souleimane [en résidence à La Charité] veille sur la phrase qui se poursuit dans le soir.

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    Pour un « Proust » accessible ?

    Commencer Passage de La Magdelaine, au seuil d’une porte double. Un livre ouvert sur les chambres dont se souvient Marcel.

    Un trajet de Compostelle, de Saint-Jean* plus que de Saint-Jacques (car sans coquille, je l’espère). À genoux, sans prière (quoi que), sans posture autre que l’amour des mots et le travail patient.

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    * « Saint-Jean Porte Latine » est le patron des imprimeurs. L'ensemble du petit matériel des ouvriers typographes (composteur, galée, etc) s'appelait le Saint-Jean.
    (Originellement Saint patron des vignerons et tonneliers).
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    De mon « cassetin » vertical, un plongeon dans l’errance des signes et du temps qui passe ; d'un cabas bricolé à roulettes, aux vingt-six crochets et plus, pour les autres signes : ponctuations, voyelles accentuées, parenthèses et autres cédille, ligature, large tiret ;  « lever » quelques mots par groupe de lettres pour « composter » au fur et à mesure et allant droit, à l'endroit, sur le pavé, sur la dalle imparfaite.
    Du scotch de peintre pour l’inter-lettre, des lamelles en plastique (chutes des découpes laser des six alphabets pochoirs) pour l’inter-mot.
    Fixer les signes, un par un. Plisser les yeux, gérer les approches généreuses (pas aisé).
    Que dire du « a », puis du « v », puis du « a » ? Trio infernal à la suite.
    Et le « t » ? Étrangement solitaire dans son équilibre incertain : un signe à bascule « rocking-share » partagé entre osciller à droite, osciller à gauche.
    Seul, un duo d’italiques pour un joli titre — Débats roses — bombé sur une plaque de GAZ.
    Et mon « parapluie poétique », ce tomb’eau romantique pris pour l’ombre et la pluie qui s’est avéré « juste » avec ces intempéries qu’il a bien fallu chérir à un moment (plusieurs, même) donné. M’en accommoder pour laisser s’écouler les longues plages de chômage technique. En profiter pour lire, écrire par ailleurs et autour : au tabac de la place des Pêcheurs, à la Dolce Vita chez Eva, ou au cœur du prieuré dans la maison du festival. La maison et son entrée « bric à brac » inspirante, ses pièces et chambres donnant sur un jardin clos pris entre deux clochers magiques, ses commodités agréables, où je me suis vécue en résidence.
    Alors, être là, à regarder « tantôt l’un, tantôt l’autre… » des clochers, et vivre au rythme de leurs cloches, leur tempo, leur sustain dans le jardin.
    Vivre au rythme des heures carillonnantes trébuchantes dès sept heure avec le chant des oiseaux, puis, le quart d'heure, la demi-heure, sonnantes. Des heures qui se suivent, s’alignent en un décompte tranquille du temps.

    Et pourtant, maintenant que je suis bien lancée, il faut pouvoir finir. Finir par dire que j’ai terminé. Oui : T E R M I N É !

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    [Dire que le deuxième jour, à la reprise du second tiers,(le premier tiers ayant été posé en mai pour la treizième édition du festival du mot) Luc Jolivel, le directeur du prieuré — croisé d’ailleurs place des pêcheurs les deux premiers matins — est venu vers moi avec un sourire entendu et… « mon » point-virgule* !
    — Je crois que vous avez perdu ceci. Le point, ce n’est pas pour tout de suite… mais la virgule… vous risquez d’en avoir besoin.
    — Oh… merci !
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    * Une ironie du « vent mauvais » l’avait emporté la veille.
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    Prise entre rouage et incrédulité à atteindre enfin le point, le terme a semblé si facile que je trainais à l’exécuter ! Comme pour savourer, tout au moins, ralentir… « la chute ».

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    Est-ce pour cela qu’à mon retour, pas une seule nuit ne s’est écoulée sans que je ne m’ingénie, au petit matin, à revisiter éternellement la fin de la phrase ? Avec, à chaque réveil, une proposition nouvelle, toujours agréable, sans pouvoir toutefois en conserver la moindre trace… Hormis celle de la mémoire de rêve… qui se résume à un imbroglio d’intentions visuelles, avec toujours ce fameux « point » en ligne de mire. Et peut-être, même… son dépassement m’a-t-il semblé aussi en songes dans les derniers rêves.

    Attention, je dis bien « rêve » et non « cauchemar » : une douce obsession de rétine.
    Un phénomène juste étrange et passionnant.

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    Et nous voilà au mois d’août.
    Les mots continuent à me plaire. Tant et tant, entêtants…
    pour le bonheur de la main, des carnets et du temps qui passe.

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    *** L'idée m'est venue de traiter l'article en deux temps :
    [Benoît m'a d'ailleurs dit à juste titre : oui, on ne va pas lire les mots dans les mots. Je n'avais pas immédiatement saisi sa réponse car, ce que j'apprécie précisément dans mon rapport aux mots… c'est qu'ils peuvent présenter ce cas de figure… de mots dans les mots…
    Mais il voulait parler bien sûr des photographies qui sont en effet et pour la plupart… des images de mots).
    Temps 1 : le texte seul (ici parcouru).
    Temps 2 : la phrase en images (article suivant, en descendant dans le temps… soit l'éphéméride du 7 août 2017.

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    La phrase — juste un peu — en mouvements :

    Tantôt l-une- tantôt l-autre.mov
    mon champ.mov

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